Le gaspillage alimentaire dans la grande distribution : ce qu’il faut savoir
Chaque année, un tiers de la production mondiale de nourriture se retrouve à la poubelle, sans nourrir personne. En plus d’avoir un impact écologique dévorant, le gaspillage alimentaire représente un véritable obstacle à la sécurité alimentaire sur une Terre où des millions de personnes restent, encore aujourd’hui, gravement exposées au virus de la faim.

Telle orange, parce que moche ou mal calibrée se retrouvera à la poubelle car pas assez belle pour être exposée aux clients dans les rayons de la grande distribution. Ce gaspillage prend plus de sens quand on sait que plusieurs millions d’humains sur notre planète peinent à accéder à un bout de pain. Combien sont-ils alors, ceux qui peuvent se procurer les cinq fruits et légumes par jour, recommandés pour être en bonne santé ? Cette recommandation est assurément hors de portée pour les 45 millions de personnes actuellement au bord de la famine dans le monde. Mais alors, pourquoi utiliser des terres pour produire en quantité des denrées alimentaires qui ne nourriront personne ? En creusant le pourquoi du comment, la situation paraît plus complexe.
Le gaspillage alimentaire : volontaire ou involontaire ?
Quand des aliments destinés à la consommation humaine sont finalement jetés ou détournés vers des utilisations non alimentaires, on parle de gaspillage alimentaire. Autrement, il est question de toute production de nourriture qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée ou dégradée. L’idée de chaîne est importante car elle permet de comprendre comment une certaine quantité de nourriture n’arrive pas à nos assiettes mais finit à la poubelle ou dans la nature.
C’est au terme d’un long périple que nos aliments arrivent à nous. Dans les pays les moins avancés, sur des routes souvent à peine bitumées, embouées à la moindre goutte de pluie, les gros camions dandinant pour s’équilibrer n’ont pas souvent le temps de se redresser avant de s’échouer sur le trottoir, les roues sur le côté, laissant s’éparpiller dans tous les sens, les aliments qui nous étaient destinés. Ainsi, surviennent des pertes alimentaires qu’on peut qualifier d’involontaires.
Les pertes involontaires sont causées par des insuffisances structurelles et logistiques qui empêchent par exemple la bonne conservation sur le long terme des aliments ou leur acheminement optimal. Plus précisément, elles sont causées par la mauvaise qualité des routes pour l’acheminement des produits (entrainant des accidents qui renversent le contenu alimentaire du camion), absence de moyens de réfrigération et de stockage des grandes quantités de nourriture avant que celles-ci n’arrivent au consommateur, les mauvais emballages, l’alternance chaleur-humidité dans certaines zones etc. Toutes ces causes potentielles sont involontaires, arrivent au cours de la chaîne d’approvisionnement et s’illustrent le plus souvent dans les pays les moins avancés.

De l’autre côté, dans les pays avancés, où les infrastructures de transport et d’acheminement des produits sont meilleures, le gaspillage alimentaire est causé loin des routes d’approvisionnement. Ici, c’est plutôt sur l’état esthétique d’une orange, sur son aspect amoché, un peu égratigné, mal calibré, que le choix de mettre volontairement à la poubelle va s’opérer. Cette scène s’illustre très souvent dans les supermarchés et au niveau des producteurs qui les approvisionnent.
Ainsi, dans la grande distribution, des fruits peuvent être refusés, pas parce qu’ils ne sont pas bons à la consommation, mais parce qu’ils ne répondent pas à certains standards qui pour le coup sont très discutables. Une banane peut donc être bonne à la consommation, mais se retrouver à la poubelle parce qu’elle n’est pas/plus très souriante. C’est le côté pervers des normes de qualité et de commercialisation. Pour qu’ils répondent au marché, les cultivateurs sont obligés de trier minutieusement leurs produits par taille et par couleur, de sorte à ne garder que ceux qui respectent les normes de qualité visuelle de mise en rayon.
Les règles du gaspillage : cas des agrumes
L’Union Européenne décrit correctement à quoi devraient ressembler les produits qui peuvent être commercialisés. A titre d’exemple, le cas des agrumes est particulièrement parlant en ce sens que selon l’UE, les citrons, mandarines et oranges doivent être intacts et sans défaut, sans blessures ou meurtrissures, être tous conformes à certains formats physiques (53mm de diamètre minimum pour les oranges), avoir une coloration exclusivement typique de la variété etc.

Les règles du marché européen supposent ainsi une certaine uniformité entre les produits et des calibrages précis. C’est une vision assez technique et mécanique qui a d’énormes conséquences sur les producteurs car une partie des récoltes peut se retrouver inadaptée aux règles et finir de ce fait à la poubelle. Il est vrai que l’ingéniosité humaine a permis d’avoir des machines pouvant pondre des objets identiques, mais avec la nature c’est un peu différent.
Bien qu’il soit possible de dimensionner mécaniquement et à l’identique des millions de pièces automobiles, il serait difficile de le faire pour des mangues, des carottes et des oranges par exemple. Pourtant, la règle pour les enceintes de la grande distribution selon ce que prévoient les standards, c’est justement de vendre des produits visuellement irréprochables, présentables, identiques, calibrés dans un but de plaire à une clientèle qui n’a pourtant besoin que du vrai goût et de la qualité nutritionnelle. Cette posture technique encadrée par les textes européens, contribue à entretenir une certaine culture du gaspillage alimentaire et n’arrange ni la situation humanitaire mondiale, ni la situation écologique.
Contournement des règles : objectif zéro gâchis
Face au poids des habitudes de gaspillage dans toute la chaîne de production, de distribution et de consommation alimentaire, face aux réglementations et aux normes de commercialisation qui encadrent les produits, peut-on imaginer d’autres façons de faire ? Oui ! Oser imaginer d’autres façons de faire, en expérimentant de nouvelles approches, c’est ce que fait par exemple gebana depuis plusieurs années.

A l’avant-garde du commerce équitable auprès des producteurs fragiles, gebana vient de relancer sa campagne de lutte contre le gaspillage alimentaire et les normes de tri abusives, après avoir expérimenté le contournement des règles européennes l’année passée. En 2020/2021, les producteurs d’oranges qui travaillent avec gebana n’ont pas dû se plier aux règles européennes et cela a permis de vendre 90% des oranges produites. Les clients de gebana ont donc pu consommer quasiment toutes les oranges des producteurs, des oranges déformées, sans calibrage, chacune avec sa particularité comme la nature en a décidé, sans altérer le goût : de vraies oranges tout simplement.
Pour pouvoir le faire, il a fallu une dérogation de l’UE face à une initiative de gebana pour plaider la cause des agriculteurs qui s’appauvrissent après les récoltes, à force de devoir faire le choix du commercialement correct au détriment du naturellement produit. Jusqu’alors, les familles d’agriculteurs triaient en moyenne un quart de leurs récoltes et les oranges qui n’étaient pas conformes aux normes européennes finissaient en jus ou étaient achetées à des prix dérisoires auprès des familles agricultrices. Après plusieurs courriers, l’Union Européenne a répondu à gebana en donnant une ouverture qui assouplit les règles :
“On nous a conseillé de simplement étiqueter les cagettes d’oranges par la mention suivante : destinée à la transformation. Les règles d’exportation ne seraient alors plus applicables.”
GEBANA
Désormais, par ce contournement des règles, gebana importe aussi des oranges imparfaites en continuant de procurer par la même occasion un prix plus haut aux agriculteurs. Il est donc aujourd’hui possible pour le consommateur qui veut consommer des vraies oranges, de commander des cagettes de 13 kg, contenant des oranges naturelles et de bonne qualité même si celles-ci ne se ressemblent pas toutes comme dans les supermarchés. Cela contribue considérablement à enrayer les codes du gaspillage alimentaire, rompt avec un système malade d’uniformisation des processus et évite des prélèvements inutiles de ressources.
Pour finir, il est important de rappeler que si c’était un pays, le gaspillage alimentaire serait le 3e émetteur de CO2 dans le monde. Si on les réunissait tous dans un pays, les personnes à deux pas de la famine pourraient constituer la population de l’Algérie ou celle de l’Espagne. En France, malgré la loi antigaspi de 2016, c’est 10 millions de tonnes de produits d’une valeur commerciale totale estimée à 16 milliards d’euros qui sont perdus et gaspillés par an. Un français peut jeter jusqu’à 30 kg de nourriture par an. Ce gâchis complique bien évidemment l’atteinte de l’objectif 2 de développement durable, à savoir l’élimination de la faim dans le monde. Un changement d’habitudes est plus que nécessaire. Et les normes de gaspillage doivent bouger !
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