Scandale écologique en Côte d’Ivoire : Zimrida accoste avec son nitrate d’ammoniaque
L’année 2025 débute en Côte d’Ivoire avec un scandale écologique flottant. Étonnement, fureur et surtout indignation, c’est ce qui ressort de la blogosphère ivoirienne en ébullition ce premier samedi de l’année. Les internautes ont fait basculer ce qui semble être une énième tentative d’atteinte à l’environnement au pays de l’éléphant, une affaire aux allures de Probo Koala 2.

Un bateau contenant des substances dangereuses, de l’engrais chimique plus précisément, apparemment refusé par plusieurs ports internationaux, se fait prendre en flagrant délit avant d’opérer aux larges d’Abidjan. Avec cette affaire, la toile ivoirienne a une fois de plus brouillé l’ordre traditionnel de circulation des informations administratives et institutionnelles. Il faut dire que le temps de la rétention d’information est derrière nous.
Avec la démocratisation d’internet, plusieurs réseaux d’information rendent caduques les circuits traditionnels de diffusion des nouvelles du pays. C’est par exemple par l’intermédiaire d’un certain Jean Christian Konan (JCK), un blogueur mué en lanceur d’alerte, que la nouvelle s’irrigue et écourte le week-end des locataires des bureaux dorés du Port Autonome d’Abidjan (PAA).
20 000 tonnes de substances dangereuses
Cette fois, l’affaire semble avoir mal tourné du côté des ennemis de la République, les encaisseurs nocturnes de liasses de billets corrompus dans les bureaux administratifs ivoiriens. Ils viennent sûrement de perdre un gros contrat et auront probablement du plomb dans l’aile.
En octobre 2024, la télévision française attirait l’attention de ses téléspectateurs sur les mouvements de ce navire problématique en parlant de « bombe flottante ». Les autorités maritimes françaises ont alors rassuré l’opinion nationale sur la surveillance des moindres gestes du bateau pour qu’il n’accoste pas aux larges du littoral.
En Côte d’Ivoire, nous n’avons pas eu droit à ce type d’alerte. Cela aurait été une prouesse pour nos autorités administratives. Le départ de feu est parti d’un post Facebook, sur une page portant le nom de Jean Christian Konan / Analys blog, vendredi 3 janvier à 23h58. Le post était millimétré.
C’est ce post relayé par millier qui va positionner l’administration du premier port thonier d’Afrique de l’Ouest, le poumon de l’économie ivoirienne, sur une corde raide.

JCK écrit ceci : « Une cargaison de près de 20 000 tonnes d’engrais à base de nitrate d’ammonium, également qualifiée de « bombe flottante » par de nombreux médias occidentaux spécialisés, est actuellement au mouillage, c’est-à-dire en attente de pouvoir accoster au poste à quai N°5 du port autonome d’Abidjan. Les autorités de la Côte d’Ivoire vont-elles autoriser l’entrée effective de ce navire jusqu’aux quais ? Depuis des semaines, un de nos consultants séniors suit ce navire, convaincu qu’il allait finalement atterrir discrètement en Afrique. C’est chose faite, ce navire est au port d’Abidjan. L’engrais, transporté par le cargo Zimrida battant pavillon de la Barbade, est arrivé à Abidjan plus tôt cette semaine. La cargaison avait été transportée à l’origine par le navire battant pavillon maltais Ruby, qui a attiré l’attention du monde entier en raison de son état dangereux et de sa cargaison extrêmement explosive. La quantité d’engrais utilisée était sept fois supérieure à celle utilisée lors de l’explosion de Beyrouth en 2020, qui avait tué plus de 200 personnes et en avait blessé des milliers. […] »
Ce post a été immédiatement relayé en masse par la blogosphère ivoirienne, y compris celle habituellement abonnée aux buzz divertissants. Le spectre de diffusion s’est donc très rapidement élargi.
En réalité, il s’agit d’un buzz plus sérieux cette fois, un buzz d’intérêt national. Le navire contient 20 000 tonnes de nitrates d’ammoniaque. Il est question d’un engrais dangereux, susceptible d’exploser s’il est mal dosé et encore plus en cas d’incendie. Il a déjà causé de graves explosions ailleurs, notamment à Toulouse en 2001 et à Beyrouth en 2020. En 2010, avant Beyrouth, la base de données Aria recensait historiquement 28 cas d’explosions graves à travers le monde en lien avec ce nitrate d’ammoniaque.
Au vu de la dangerosité du navire, on peut se demander quelle forme de légèreté a bien pu conduire les responsables du Port Autonome d’Abidjan à laisser accoster une telle cargaison.

Devant l’ampleur du mouvement sur la toile, une réaction officielle n’a pas tardé. En fin de journée, le Port Autonome d’Abidjan, qui n’est pas connu pour être un astre de la communication de crise, file un mauvais coton et se retrouve dans l’obligation de publier, illico presto, un communiqué dont la teneur est largement rejetée par les internautes. Était-ce le meilleur moment pour réagir ? Une chose est sûre : le contenu du communiqué est plus embarrassant pour le PAA que rassurant pour les ivoiriens.
Réminiscences de l’affaire Probo Koala
L’histoire est têtue. Ce énième scandale écologique en Côte d’Ivoire rappelle des souvenirs amers du début des années 2000. Zimrida remue le couteau dans une plaie mal cicatrisée : celle du scandale écologique du Probo Koala. En effet, le 20 aout 2006, les ivoiriens se réveillaient avec une forte odeur, suite au déversement clandestin de déchets pétroliers aux larges d’Abidjan via également un navire. Ce scandale écologique a causé 43 000 cas d’empoisonnement ! Le désastre écologique sur les lieux est quant à lui inestimable. Il y avait un peu de tout dans ce scandale : corruption des autorités, laxisme du système de protection et de gestion des côtes, impuissance face au fait accompli.
Aussi, disons que toutes les questions concernant l’affaire Probo koala n’ont pas trouvé de réponse, même si l’affaire est aux archives. Les internautes n’ont pas manqué de rappeler cet épisode douloureux, qui pour certains a touché des membres de leurs familles.
Heureusement, cette fois, le scénario est différent grâce aux réseaux sociaux. La référence systématique à l’affaire du Probo Koala, qui malheureusement n’a pas pu être évité en son temps, démontre une mémoire collective encore vive et une prise de conscience des enjeux écologiques.
Quelle suite judiciaire aura cette affaire Zimrida ? Aurons-nous des noms, des complices ? Car il est évident qu’un simple communiqué ne suffit pas. Nulle été la vigilance d’un groupuscule, sinon d’une poignée de lanceurs d’alertes, le pire serait arrivé. D’ailleurs combien d’autres scandales nous ont échappé au port ? À quoi faut-il s’attendre à l’avenir si Probo Koala n’a pas servi de leçon ? Sérieusement : les côtes ivoiriennes sont-elles à ce point faciles d’accès ?
La blogosphère ivoirienne de plus en plus importante
Les réseaux sociaux créent de nouveaux tribunaux. Bonne ou mauvaise nouvelle pour les démocraties et la justice ? En tout cas, rien ne se passe sans trace numérique désormais. Les ivoiriens se sont d’ailleurs découverts une nouvelle compétence numérique dans cette affaire Zimrida : traquer les mouvements du navire en temps réel, via un site internet spécialisé.
L’éveil de la conscience écologique passera aussi par le numérique et je me réjouis d’y avoir cru dès 2017 en créant ce blog. Les réseaux sociaux sont aujourd’hui des tribunaux populaires, avec leurs vices certes, mais une utilité certaine dans plusieurs cas à travers le monde.
Le numérique s’est encore avéré incontournable dans l’accès à l’information sans filtre, en instantané. Ne dit-on pas que celui qui a l’information a le pouvoir ?
Toutefois, si tout le monde a l’information, à quelle société faut-il s’attendre ? À une société plus transparente ou à une société plus diffuse ? Qui croire entre les communiqués officiels et les lanceurs d’alerte ?
Cette matière que les professionnels des médias était les seuls à manipuler diversement est aujourd’hui aux mains de tous. Des réseaux alternatifs se créent en contre-pouvoir, là où les médias traditionnels peuvent être en retard ou manipulés par certaines classes dirigeantes.
Comme lors du scandale de la réserve naturelle Dahliafleur, menacée d’être rasée pour un projet hôtelier climaticide, la blogosphère ivoirienne a encore su mettre tous les autres sujets de divertissement en pause pour se mettre au diapason d’une alerte écologique.
Les catastrophes passées n’ont peut-être pas pu être évitées, mais elles ont donné des armes pour affronter les prochaines. Faut-il s’attendre à ce qu’Internet réinvente les codes de l’expression populaire dans nos États africains ? Facebook aura-t-il raison des médias traditionnels d’information ? Jusqu’où ira la mobilisation sur internet en cette année en Côte d’Ivoire (année électorale) ? Affaire à suivre !
Yves-Landry Kouamé
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