Côte d’Ivoire : quand l’annonce d’un projet climaticide à Dahliafleur mobilise la jeunesse

Article : Côte d’Ivoire : quand l’annonce d’un projet climaticide à Dahliafleur mobilise la jeunesse
Crédit: M.Z.
27 mai 2022

Côte d’Ivoire : quand l’annonce d’un projet climaticide à Dahliafleur mobilise la jeunesse

C’est peut-être l’atteinte à l’environnement de trop en Côte d’Ivoire. Ce 24 mai, l’annonce du projet climaticide de transformation de la réserve naturelle partielle de DahliaFleur en un complexe hôtelier, a provoqué une élévation quasiment sans précédent de voix jeunes et diverses, comme pour dire “STOP, trop c’est trop”.

Crédit photo : M.Z.

Une jeunesse de la race des indomptables fait parler d’elle en cette fin du mois de mai en Côte d’Ivoire. Accueillant à chaud la nouvelle publiée par plusieurs médias en ligne, les jeunes ivoiriens n’ont pas tardé à monter au créneau pour dénoncer le projet de bouleversement de l’écosystème de Dahliafleur. Cette réserve naturelle partielle est en effet la cible d’un projet d’aménagement touristique important. Ce projet vise  à transformer cet espace abritant 15 espèces de mammifères, 69 espèces d’oiseaux et 91 hectares de forêt bien conservée jusque là, en un complexe hôtelier. “NON”, scande la jeunesse ivoirienne !

Un complexe hôtelier à Dahliafleur : quand l’information fait réagir 

C’est un article du média économique Sikafinance qui a attiré l’attention de la blogosphère sur ce projet qui mijotait pourtant depuis des années. Cet article d’une rare ampleur, est relayé par des milliers d’internautes et est l’objet de plusieurs captures d’écran qui atterrissent chez des influenceurs. Ces derniers ne tardent pas à donner leur point de vue : certains au vitriol, d’autres de façon plus modérée.

Avant de se lancer dans des initiatives, de nombreux activistes tentent de recouper l’information avant de réagir. C’est là que l’article de l’Agence Ivoirienne de Presse et l’article d’Abidjan.net, publiés trois semaines avant que la toile ne s’en saisisse, arrivent à leur heure de gloire pour écarter les doutes liés à la source de l’information. Il n’y a vraiment pas de fumée sans feu.

L’information est vérifiée : les autorités ivoiriennes ont bel et bien validé le projet d’aménagement touristique de cet espace naturel très prisé par les populations des lagunes. Des espèces naturelles de cette réserve devront commencer à plier bagages, pour laisser place à des chambres de touristes. Un écosystème sera bouleversé, le béton va encore prendre le dessus sur la végétation.

Face à cette situation, les premières réactions sur la toile explosent et prennent une ampleur sérieuse.

Opinion divisée : rattraper le retard de développement ou combattre le réchauffement climatique?

Selon l’angle de vue, ce projet climaticide ne draine pas les mêmes réactions. Edwin Anoma, leader de jeunesse, opte par exemple pour une analyse classique qui lie le développement du pays aux infrastructures économiques. Pour lui, les emplois qui seront créés, les opportunités économiques induites et le retard de développement du pays suffisent pour valider un tel projet. En s’exprimant par un post sur facebook, il ne manque pas d’ironiser sur la dimension de préservation du patrimoine naturel qu’opposent les autres internautes et influenceurs, en lâchant par la même occasion une expertise curieuse sur la place de la flore dans l’aménagement urbain.

Edwin n’est pas seul à penser ainsi mais à son opposé, une autre conscience s’exprime. Car pour de nombreux jeunes, rien ne peut justifier une énième atteinte à la forêt ivoirienne.

Les réactions de cette catégorie de jeunes laissent entrevoir la fin progressive d’une conception de l’idée de développement économique. Elles marquent également la rupture d’un silence citoyen qui a permis la destruction des nids de biodiversité du pays, au profit de certains aménagements, des trafiquants de bois et d’une politique à courte vue.

Une page semble finalement se tourner : celle de l’applaudissement des grands travaux d’aménagement particulièrement irrespectueux de l’environnement et de la biodiversité locale.

Ces projets qui jusque là étaient bien vendus par leurs promoteurs avec le prétexte des emplois créés, des opportunités économiques induites et du développement du pays, ne semblent plus passer, en témoignent les réactions des influenceurs. Ils sont nombreux à comprendre aujourd’hui que le développement qui consiste à anéantir le patrimoine naturel ne profite à personne, creuse les inégalités sociales et détruit l’avenir des générations futures. Il est important de cultiver l’écosystème urbain. Les arbres en ville apaisent l’atmosphère, diminuent la chaleur ambiante et traitent une bonne partie de la pollution.

La levée de bouclier des internautes a obligé le gouvernement ivoirien à clarifier la situation.

Par ce communiqué qui sème plus de flou que de clarté, le gouvernement donne plus de précisions sur le projet sans remettre en cause les inquiétudes des jeunes. L’objectif premier de ce communiqué est bien visible : calmer les ardeurs, rassurer. Les jeunes l’ont bien compris mais nombreux sont ceux qui ont décelé du greenwashing dans le communiqué. La vigilance est de mise, les autorités multiplient les sorties pour requalifier les faits : un bon signe et peut-être le coup de grâce à un projet qui n’a pas sa place dans le périmètre d’une réserve.

Lire aussi : Montée des eaux en Côte d’Ivoire, jusqu’à quand l’inaction ?

Un bon signe pour l’écologie en Côte d’Ivoire

Dahliafleur est peut-être le marqueur d’une dynamique nouvelle au sein d’une jeunesse ivoirienne longtemps considérée comme insouciante, immature et amusante. La ruée impressionnante vers la pétition qui a réuni plus de 15 000 signatures en seulement deux jours en est une preuve : «Non à la destruction de 148 ha d’une forêt naturelle pour la construction d’un HÔTEL».

La question que pose un tel projet est la suivante : est-il concevable pour un pays qui est passé de 16 millions d’hectares de forêt en 1960 à moins de 2 millions d’hectares aujourd’hui, siège de nombreux scandales écologiques, de valider un tel projet ? Quelques jours seulement après la clôture de la COP15 qui s’est tenue du 9 au 20 mai dernier, cette nouvelle tombe mal, d’où la tournure de la situation. Cela confirme les critiques apportées à cette COP15 qui ressemblait plus à un événement de défilé de mode dans des salles climatisées, qu’à un événement de lutte contre la désertification.  L’organisation de cette conférence qui fut l’occasion de rappeler pour la énième fois, l’importance de préserver les terres contre toutes les formes de dégradation, n’a semble t-il rien changé à l’orientation climaticide du processus de développement que poursuit le pays depuis quelques années. Seulement quatre jours après la clôture de cette COP15, un grand chantier est lancé pour raser des parties de la réserve naturelle partielle de DahliaFleur, étendue sur une superficie de 148 hectares et créée en 2004 pour, entre autres, conserver sa diversité biologique.

https://twitter.com/BenedicteDOSSO/status/1529757270137090048?s=20&t=rq_Pr70IT_6bxybW-M93UQ

C’est un projet à suivre. Si la pression de la jeunesse ivoirienne a réussi à endiguer l’un des plus gros projets de centrale à charbon d’Afrique de l’Ouest, il faut être sûr que l’énergie à déployer contre ce projet à DahliaFleur ne manquera pas. En continuant ainsi, la Côte d’Ivoire pourrait d’ici quelques années, par sa jeunesse, se positionner comme un important hub de la conscience écologique en Afrique de l’Ouest.

Yves-Landry Kouamé

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