Réchauffement climatique : comment la jeunesse africaine rappelle l’urgence

Article : Réchauffement climatique : comment la jeunesse africaine rappelle l’urgence
Crédit: iwaria
30 mars 2022

Réchauffement climatique : comment la jeunesse africaine rappelle l’urgence

Sur le front de l’engagement social et écologique, les actions de la jeunesse africaine commencent à peser. Incorruptible, résolue à dire NON aux projets climaticides et appelant à une justice climatique, cette jeunesse rappelle avec une rare détermination, l’urgence d’agir sans délai.

@etresensibleasonenvironnement

L’Afrique de demain se dessine à travers sa jeunesse d’aujourd’hui, soucieuse de rompre avec tout ce qui handicape son avenir. Les 200 millions de jeunes Africains vivent d’une manière ou d’une autre, les dégâts causés par le réchauffement climatique, en remarquant la faible capacité des Etats à y faire face. Cette jeunesse ne croise pour autant pas les bras à attendre le miracle. Ses inquiétudes se manifestent par plusieurs formes d’engagement qui dérangent et mettent à mal plusieurs projets. Boycott de chantiers climaticides, grèves scolaires et contestations diverses, cette nouvelle génération engagée, par sa proactivité et par ses réseaux d’influence, oblige les entreprises et les politiques à replacer le réchauffement climatique au cœur des priorités.

Une jeunesse proactive qui conteste les projets climaticides

Mégaphones, tracts et pancartes en main, prêts à sécher les cours tous les vendredis pour manifester et montrer qu’ils sont plus chauds que le climat, qu’ils soient d’Afrique, d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, les jeunes sont préoccupés par le réchauffement climatique. Et aussi inévident que cela puisse paraître, les questions écologiques tiennent une grande place dans les préoccupations de la jeunesse africaine.

La politique des grands travaux et les projets autrefois bien vendus d’implantation des grosses entreprises internationales dans des villages aux ressources naturelles riches, ne sont plus à leurs heures de gloire. Ces projets qui avaient tendance à être annoncés à la une des journaux télévisés pour montrer un certain dynamisme économique sont aujourd’hui accueillis différemment. Il faut désormais user de pédagogie pour expliquer aux jeunes comment les impacts sociaux et environnementaux induits seront pris en compte. Ces travaux risquent sinon de ne pas aboutir ou peuvent susciter de vives contestations pouvant prendre des formes diverses et inattendues. 

Avec moins de 4% des émissions de CO2 de la planète, l’Afrique est le continent qui pollue le moins mais qui subit le plus les conséquences du réchauffement climatique. C’est de ce fait, la principale préoccupation parmi les sensibilités écologiques de sa jeunesse. En 2016 déjà, une étude de l’IPSOS montrait que le réchauffement climatique arrivait en 5e position des préoccupations de la jeunesse africaine. Ils étaient alors 54% à être préoccupés par cette réalité. Aujourd’hui, un peu partout sur le continent, une éclosion impressionnante d’organisations et des figures écologiques se dressent pour freiner des projets climaticides qui, dix ans en arrière, seraient passés facilement sans susciter de sérieuses contestations. Cette prise de conscience des enjeux écologiques change tout, surtout dans la façon de conduire les projets de développement au sein des territoires.

En Afrique de l’Ouest par exemple, la pression de la jeunesse écologique a endigué l’un des plus importants projets de centrale à charbon. San Pedro (Côte d’Ivoire) devrait en effet abriter la première centrale à charbon thermique d’Afrique de l’Ouest en 2024 mais le projet a été avorté en 2021, dans un contexte tendu de COP26 où plusieurs pays se sont engagés à sortir du charbon.  Pour aboutir à une telle victoire, il a fallu des jeunes pour monter au créneau dès les premiers soupçons d’implantation du projet. Ces jeunes ont tenu à faire barrière pour rappeler qu’une telle ambition n’est pas en accord avec les enjeux locaux et l’état actuel de l’atmosphère. Pour rappel, le charbon est la source d’énergie la plus polluante en termes d’émission de CO2. 

©via freepik

De même, au Kenya, l’un des plus importants projets de centrale à charbon d’Afrique de l’Est a été boudé par la jeunesse écologique. Cette contestation a obtenu le soutien de la justice kényane qui a sommé la suspension du projet en 2019. Ce processus d’action proactive de la jeunesse est aussi en cours en Ouganda, cette fois pour faire barrière à un méga projet d’exploitation du pétrole. Il s’agit précisément de l’inquiétant projet EACOP qui mobilise actuellement une jeunesse prête à tout pour faire barrage. Au Sénégal, la menace de disparition du précieux désert de Lompoul dont l’importance éco-touristique est une richesse pour les populations locales, mobilise des jeunes contre l’imminent projet d’expansion du terrain d’exploitation du minerai zircon.

Les exemples de contestations des projets climaticides en Afrique commencent à abonder, au même rythme de l’intensification du réchauffement climatique sur le continent. D’autres blocages sont à prévoir car les dégradations environnementales s’amplifient pendant que les causes profondes semblent toujours venir d’ailleurs d’où l’idée de justice climatique.

“Pas d’écologie sans justice climatique”

Un sentiment d’injustice se répand chez les jeunes africains quand ils abordent la question du réchauffement climatique. Ils contestent de plus en plus le discours écologique axé sur l’adaptation aux changements climatiques et militent pour replacer le réchauffement climatique dans un cadre qui situe les responsabilités : un cadre de justice climatique.

Parce que les mots comptent, le discours de l’adaptation aux changements climatiques commence à vieillir, d’autant plus que les 100 milliards annuels promis par les pays développés pour l’aide à l’adaptation n’arrivent pas. La justice climatique est réclamée en boucle dans les grands agoras et sur les réseaux sociaux. Mais qu’est-ce que la justice climatique ? 

L’idée de justice climatique part de la réalité selon laquelle, certains pays subissent des retards de développement en raison de la pollution engendrée majoritairement par les pays développés depuis la révolution industrielle jusqu’à la fin du XXe siècle.

La justice climatique suggère par exemple de verser des compensations à ces pays mis en difficulté afin de réparer les préjudices causés ou du moins afin de les aider à s’adapter sans que cela ne leur coûte. Elle suggère également d’associer ces pays aux décisions qui les concernent, c’est-à-dire leur garantir une participation significative aux sommets importants de négociations climatiques. Ce nouveau narratif a tout son sens et accompagne les actions de boycott dont nous parlions plus haut.

Ce sentiment d’injustice n’est pas un cas isolé sur le globe. Si les jeunes Africains ne veulent plus entendre parler d’écologie sans qu’on parle de la justice climatique, en Europe aussi il est désormais hors de question de parler d’écologie sans parler de la justice sociale car tout est lié. L’expression « pas d’écologie sans justice sociale » se répand dans le vocabulaire des jeunes. En parlant de justice sociale, il ne s’agit pas seulement de dire que les couches les plus fragiles de la société occidentale sont les plus vulnérables face aux dérèglements climatiques. Il s’agit de rappeler aussi que « manger bio » n’est pas à la portée de tous et que pour des raisons financières, de nombreux jeunes n’arrivent pas à avoir un train de vie éco-responsable, malgré leur conscience écologique. 

Parce que le réchauffement climatique n’est pas une perception lointaine

Pour les jeunes du continent africain, les catastrophes liées aux dérèglements climatiques ne se voient pas sous l’angle d’un horizon lointain. C’est une réalité de tous les jours, une succession d’événements traumatiques qui contribuent à faire émerger un activisme de plus en plus intransigeant. De la corne de l’Afrique au Sahel, de l’Afrique du Nord à l’Afrique du Sud, les sécheresses et inondations fréquentes brisent des vies et effondrent les activités agricoles des cultivateurs. Ces derniers regardent leurs plantes mourir avant les récoltes, difficile alors de subvenir aux besoins de leurs familles.

La montée des eaux, conséquence du réchauffement climatique, plonge chaque jour les habitants de Lahou-Kpanda, dont les maisons ne résistent plus aux vagues dévastatrices, dans le désespoir. L’augmentation du niveau de la mer est donc une réalité en Côte d’Ivoire. Où irons les jeunes issus de cette portion du territoire frappé par la fureur de l’océan ? 

De plus, ayant abondamment fait la une des rédactions en 2006 à cause du scandale des déchets toxiques déversés illégalement en toute discrétion aux larges d’Abidjan, ce pays est aussi cité en exemple quand on aborde les questions de pollution. Que dire alors de la déforestation ? La Côte d’Ivoire a perdu la quasi-totalité de son couvert forestier en passant de 16 millions d’hectares de forêt en 1960 à moins de 2 millions d’hectares aujourd’hui. La jeunesse ivoirienne est témoin de toutes ces dégradations et atteintes à l’environnement.

Erosion côtière à Lahou-Kpanda ©abidjan.net par CT

Plus bas, à Madagascar, l’île rouge africaine, le territoire du lémurien, ces derniers mois ont été particulièrement difficiles pour la jeunesse en raison de la situation humanitaire du pays. Les Malgaches subissent la première famine directement imputable au réchauffement climatique selon l’ONU. Même si le lien de causalité établi entre cette famine et le réchauffement climatique ne semble pas convenir à un groupe de chercheurs, ils s’accordent tous à dire que le réchauffement climatique y est pour beaucoup. 

Les jeunes de ces territoires frappés par le réchauffement climatique sont conscients que c’est d’abord d’eux qu’il s’agit quand la banque mondiale alerte que 216 millions de personnes seront forcés de migrer à cause du réchauffement climatique d’ici 2050. Ces jeunes sont au cœur d’enjeux si importants qu’ils ne peuvent plus rien faire à part manifester et se donner les moyens de se faire entendre. Cette génération est peut-être la dernière à pouvoir éviter le pire à l’Afrique.

Par ailleurs, l’un des facteurs importants d’écologisation de la jeunesse africaine, c’est l’influence des mouvements internationaux comme Friday For Future, ces grèves hebdomadaires pour le climat impulsées par la suédoise Greta Thunberg. Tous les jeunes qui adhèrent à ce mouvement remettent en question le fait d’aller à l’école sur une planète ravagée par les dérèglements climatiques.

Concluons ce rapide tour d’horizon. Le réveil écologique de la jeunesse africaine arrive à un moment clé de l’histoire de l’humanité. Nous sommes en effet en 2022, près de trente ans après l’introduction de l’idée de développement durable dans les plans de développement des Etats, mais l’état de notre planète continue de se dégrader. Les catastrophes environnementales annoncées par les scientifiques depuis  plus de trente ans ravagent aujourd’hui l’Afrique et tous ces jeunes qui s’engagent soupçonnent un avenir qui sera moins drôle que le présent. C’est pour cela qu’ils montent au créneau pour s’opposer aux décisions politiques susceptibles d’empirer la situation. Proactive et incorruptible, la jeunesse africaine est ainsi en ordre de marche pour non seulement faire barrage aux projets climaticides mais aussi impulser des dynamiques nouvelles qui placent les enjeux climatiques au cœur des projets de développement. Elle aura certes besoin de plus de mégaphones pour être pleinement entendue à l’échelle internationale, mais toutes les petites victoires locales, tous ces projets climaticides mis à mal grâce à l’engagement, donnent de l’espoir.

De toutes ces formes d’engagement émergeront sûrement d’autres Yacouba Sawadogo et d’autres Wangari Muta Maathai, ces références du mouvement écologiste africain dont les œuvres constituent des sources intarissables d’inspiration.

Yves-Landry Kouamé

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