Montée des eaux en Côte d’Ivoire : jusqu’à quand l’inaction ?

Article : Montée des eaux en Côte d’Ivoire : jusqu’à quand l’inaction ?
Crédit: Image X(ancien Twitter) Edith Brou
15 août 2023

Montée des eaux en Côte d’Ivoire : jusqu’à quand l’inaction ?

La mer a encore grignoté de l’espace sur le littoral ivoirien. A Grand-Bassam, le week-end dernier n’a pas été de tout repos car les vagues furieuses du jeudi 10 et vendredi 11 août ont englouti des habitations, laissant derrière elles des familles sinistrées et des pertes énormes en biens matériels.

Dégâts de la montée des eaux à Grand-Bassam ©Image Twitter Edith Brou

Les scientifiques prédisent des catastrophes climatiques en 2100, mais les villes côtières de la Côte d’Ivoire prennent déjà l’eau en 2023.

Au fur et à mesure que le temps passe, des peuples désertent les villes balnéaires par contrainte, à cause de l’élévation du niveau de la mer. Cette énième actualité à Grand-Bassam me donne ici l’occasion de revenir sur une urgence écologique de premier plan en Côte d’Ivoire : la montée des eaux.

Montée des eaux et dégats importants à Grand-Bassam : la goutte de trop

YAKO aux bassamois ! Les images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent que le week-end du vendredi 11 août a été dur et bien triste. 

En ce milieu du mois d’août, les dégâts observés sont considérables à Grand-Bassam, ville historique de la Côte d’Ivoire et patrimoine mondial de l’UNESCO. La ville de plus de 80.000 habitants est une fois de plus sous le choc face aux mouvements de la mer.

Comme une attaque soudaine perpétrée par un ennemi imprévisible et atemporel, les vagues, toujours plus proches et plus intenses que les précédentes, ont ravagé bien plus que des cabanes. Des piliers d’habitations ont cédé et des commerces ont été détruits. Face à la situation, les habitants n’ont pu qu’attraper leurs têtes en signe de désolation et d’impuissance. Il n’y a rien pour repousser les assauts de la mer.

C’est peut-être l’événement climatique de trop dans cette ville de la Côte d’Ivoire, historiquement première capitale du pays. Il y a moins de trois mois déjà, des inondations y faisaient la sombre actualité. Les fortes pluies du samedi 10 et du dimanche 11 juin derniers avaient déjà fait la une du journal local Fraternité Matin. Le journal décrivait des populations fuyant leurs maisons. Ces jeudi 10 et vendredi 11 août, nouvelle actualité climatique aux conséquences toujours aussi tristes et inquiétantes pour l’avenir. 

Ces évènements ont été évoqués par les scientifiques il y a plus de 30 ans. Les dangers qui pèsent sur les villes balnéaires un peu partout dans le monde sont de taille. Les côtes ivoiriennes ne sont donc pas les seules concernées. Les villes suivantes sont aussi concernées par ce phénomène : Venise, New-York, Miami, Shanghai, Le Havre, Lagos, Abidjan, Grand-Bassam, Dakar, Alexandrie, Lomé, le Cap, Accra etc. Ces villes risquent d’être littéralement sous l’eau si le réchauffement climatique continue sur sa lancée actuelle.

Sachant que plus de 60% de la population urbaine mondiale vit sur le littoral, les risques de catastrophes causées par la montée des eaux sont bien réels et surtout potentiellement très dommageables. En effet, au sein des villes côtières de Côte d’Ivoire, des peuples se sont acculturés à la présence de la mer et à l’exploitation des ressources halieutiques pour vivre et se réaliser. 

Ce sont par exemple les peuples du groupe ethnique Krou. Il s’agit des avikams aujourd’hui célèbres avec le film AYA, des nzemas, des didas, des abourés etc. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’à l’allure où vont les choses, ces peuples seront bientôt condamnés à vivre loin de leur territoire d’origine, comme des réfugiés climatiques, à cause de la montée des eaux.

La montée des eaux : conséquence du réchauffement climatique

Au journal, la RTI, télévision nationale, pointe du doigt l’insalubrité et un phénomène naturel sans aller plus loin. Pourtant, il s’agit d’une conséquence du réchauffement climatique. Rien d’étonnant quand on sait que le traitement médiatique de l’information environnementale est encore au stade préhistorique en Côte d’Ivoire.

En fait, l’eau a une propension à occuper plus de place quand elle se réchauffe. C’est ce qu’on appelle la dilatation thermique des océans. C’est l’un des facteurs qui expliquent la montée des eaux. Il s’agit aussi d’une conséquence de la fonte des glaciers continentaux.

Ainsi, le phénomène de montée des eaux, celui qui est imputable au réchauffement climatique et qui est largement documenté, n’est rien d’autre qu’une conjonction de ces deux facteurs : la dilatation de l’eau des océans et la fonte des glaciers. Elles-mêmes causées par le réchauffement climatique.

Aussi, les scientifiques s’accordent à dire que le réchauffement climatique en Afrique entraînera une fréquence des événements météorologiques extrêmes comme ce qu’on a pu observer à Grand-Bassam en ce mois d’août et tout ce qui arrive à Grand-Lahou ou Lahou Kpanda depuis plusieurs années. Ce qui signifie que nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Ces mouvements océaniques, qui peuvent prendre plusieurs noms selon les caractéristiques de leurs manifestations, sont imputables au réchauffement climatique. Pour rappel, le réchauffement climatique est causé majoritairement par les rejets anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Par ailleurs, la Sodexam, organisme national météorologique, qui a émis une alerte à la veille des premières vagues dévastatrices, indique bien que la Côte d’Ivoire possède l’un des indices de vulnérabilité les plus élevés au monde en matière de changement climatique, en raison notamment de l’exposition de ses villes balnéaires à la montée de eaux. 

Cela dit, nous pouvons faire face à cette situation si nous écoutons enfin les scientifiques. Selon les océanographes ivoiriens, une façon d’y faire face, c’est de déployer une politique claire de gestion intégrée du littoral. Cela est expliqué dans l’ouvrage “Géographie du littoral de Côte d’Ivoire”. 

Mettre en place de réelles politiques environnementales en Côte d’Ivoire

L’environnement est absent du débat politique en Côte d’Ivoire malgré toutes les alertes sur la vulnérabilité de notre pays. Les populations des villes balnéaires sont laissées pour compte face aux catastrophes environnementales.

Et pourtant, un peu partout dans le monde, les politiques rejoignent les scientifiques pour investir le génie hydraulique, inventer les villes flottantes de demain, mettre en place des cordons dunaires, innerver les mangroves etc. Où en sommes-nous en Côte d’Ivoire à ce niveau ? Quelles sont les solutions techniques expérimentées jusque là ? Qu’en disent les parlementaires locaux ? Pas grand-chose !

Pour un pays aussi ambitieux en matière de développement, cette vulnérabilité face à la montée des eaux et plus globalement face au réchauffement climatique, est un gros frein. En effet, les sinistrés de la montée des eaux sont freinés dans leur participation au développement local. Ils arrêtent d’être des acteurs économiques, perdent leurs réalisations et deviennent plutôt des cas sociaux à la charge de l’Etat.

Les activités touristiques et les opérateurs économiques du secteur de l’hôtellerie ne pourront pas survivre indéfiniment sans une politique environnementale sérieuse. 

Ce qui m’inquiète le plus, c’est que les problèmes environnementaux de la Côte d’Ivoire ne s’arrêtent pas là. A la montée des eaux s’ajoutent d’autres problématiques environnementales de premier plan : les déchets qui jonchent les rues dans un contexte d’urbanisation incontrôlée, la forte dégradation du couvert forestier, la pollution des sols par une agriculture fortement consommatrice de produits phytosanitaires dangereux, une conscience écologique faible chez les citoyens, pour ne citer que quelques exemples.

Mettre en place de réelles politiques environnementales devient donc une urgence. Il y a urgence à déployer un plan multisectoriel de relance écologique pour aboutir entre autres à une gestion intégrée comme le suggèrent nos chercheurs. Car si rien n’est fait dans ce sens, notre inaction nous engloutira, pendant que les autres flotteront sur l’eau.

Yves-Landry Kouamé

Partagez

Commentaires

Esther Mwamba
Répondre

Excellent article !

Yves-Landry Kouamé
Répondre

Merci Esther 💚