Surchauffe urbaine et urbanisation de zones risquées : les villes africaines survivront-elles au réchauffement climatique ?

Article : Surchauffe urbaine et urbanisation de zones risquées : les villes africaines survivront-elles au réchauffement climatique ?
Crédit: ©Iwaria
7 avril 2025

Surchauffe urbaine et urbanisation de zones risquées : les villes africaines survivront-elles au réchauffement climatique ?

De plus en plus surchauffées, dépendantes des climatiseurs, ravagées par les inondations successives et en proie à la montée des eaux sur le littoral, l’avenir des villes africaines dans le contexte du réchauffement climatique s’envisage avec appréhension lorsqu’on s’y penche. Avec une population africaine qui doublera en 2050, nos villes sont-elles prêtes ?

Abidjan, Plateau, Centre des affaires, ©Wikimedia

Chaleur extrême, dépendance aux climatiseurs, inondations successives, les villes africaines sont en plein boom, mais nourrissent autant de fantasmes que de vulnérabilités. Villes de contrastes, entre gratte-ciels et bidonvilles, entre confort pour certains et extrême vulnérabilité pour les autres, nos villes offrent des spectacles urbains tout aussi impressionnants qu’inquiétants, en s’illustrant notamment par des signes d’inadaptation aux enjeux climatiques actuels. Survivront-elles aux catastrophes climatiques annoncées par les climatologues ? Seront-elles capables d’absorber les 1,4 milliard de citadins africains en 2050 ? J’espère que oui !  Mais dans ce cas, dans quelles conditions climatiques et urbaines vivront ces futurs citadins ?

Les Îlots de chaleur et la grosse dépendance aux climatiseurs

Des africains qui se plaignent de la chaleur en ville, il y en a de plus en plus. Dehors, comme à la maison, les îlots de chaleur nous suivent partout.

Avec des températures insupportables, le goudron et le bitume brûlants, les bâtiments chauds, l’absence de ventilation naturelle, le manque d’eau, les enjeux climatiques sécouent souvent les plaies enfouies sous les gratte-ciels des villes africaines pourtant en plein boom. 

©Ong bienVERT’liance

À Abidjan, comme dans plusieurs autres villes africaines, au-delà des belles images du boom économique récent, il fait très chaud. Disons-le de façon très prosaïque. Il fait chaud à Abidjan : surtout en février-mars-avril, mois les plus chauds. Nos logements-fours ne sont pas du tout adaptés à la réalité des événements climatiques que prédisent les scientifiques depuis plus de 30 ans et qui se manifestent déjà. 

Il faut noter au passage que l’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée au niveau de notre planète. Et en Côte d’Ivoire, la SODEXAM a enregistré des températures particulièrement ardentes, allant de 36 à 41 degrés sur le premier trimestre.

Imaginez un instant l’impact de cette exposition quotidienne à la chaleur, sur la santé des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées, à l’hôpital, dans les écoles, etc. Ne serait-ce pas là un facteur explicatif de l’explosion des cas de paludisme, de maladies respiratoires, d’infections, de brûlures cutanées et de troubles cardiaques ?

Les populations vivent à Abidjan, à Abuja, au Nigéria, au Kenya, au Mali, au Ghana, avec la conscience du caractère inéluctable de l’intensification de la chaleur urbaine. Les conséquences sont dramatiquement subies lors d’épisodes extrêmes, notammanet là où les îlots de chaleurs urbains font déjà des ravages. 

Les îlots de chaleur sont la manifestation concrète du manque de fraîcheur en ville dû à la bétonisation à tout-va, à la taille des bâtiments ainsi qu’à l’absence d’arbres. Or comment vivre agréablement dans une ville sans fraîcheur naturelle ? 

Yaoundé, Cameroun ©Iwaria

En guise d’antidote, les habitants qui peuvent se le permettre s’en sortent avec des climatiseurs pendant que les classes inférieures s’équipent de ventilateurs. D’autres se débrouillent en dormant à la belle étoile ou avec les fenêtres ouvertes, quitte à risquer de se faire piquer par les vecteurs du paludisme lorsqu’on vit dans des quartiers insalubres. 

Lorsqu’on s’attarde sur la climatisation, on voit qu’elle est doublement problématique pour nos villes. L’Afrique, dans sa situation de continent le plus exposé au réchauffement climatique, n’a pas intérêt à ce que le climatiseur se généralise comme remède aux vagues de chaleur, car la dépendance au climatiseur, est aussi un vecteur de réchauffement climatique. En effet, pendant qu’il rafraîchit l’intérieur de la maison, il rejette dehors de l’air chaud qui aggrave l’effet d’ilot de chaleur. Et techniquement, plus il fait chaud dehors, moins le rendement du climatiseur est bon à l’intérieur. On se retrouve donc dans un cercle vicieux où en voulant se sauver, les victimes creusent leur propre tombe.

Par ailleurs, avec le réchauffement climatique, les citadins africains vont devoir de plus en plus dépenser de l’électricité (et de ce fait de l’argent), sans avoir accès au confort et à la fraîcheur recherchés. Disons d’emblée bon courage aux générations futures !

Quand la concentration démographique et urbaine accentuent les vulnérabilités

Les villes africaines avec leur organisation actuelle absorberont-elles les 2,2 milliards d’africains annoncés pour 2050 dans le dernier rapport de l’OCDE ? Y aura-t-il assez d’espace sain, de ressources alimentaires et énergétiques pour tout le monde ?

À ce sujet, un important rapport vient de sortir et je vous invite à le lire attentivement pour cerner les enjeux urbains de l’Afrique de demain, dans le contexte climatique, surtout si vous faites partie de ceux qui observent qu’il y a beaucoup d’anarchie dans nos villes africaines. 

©Image de couverture du dernier rapport de l’OCDE « Dynamique de l’urbanisation africaine »

Publié en mars 2025 par l’OCDE, la Banque Mondiale, Cities Alliance et CGLU Afrique, ce rapport intitulé dynamique de l’urbanisation africaine 2025” est une mine d’or chiffrée pour avoir une lecture complète et actualisée de nos villes. 

Dans ce rapport, on peut lire que les villes africaines accueilleront 80 % des 2,2 milliards d’africains en 2050. Cela soulève bien évidemment de nombreux défis, surtout lorsqu’on est contemporain des conséquences négatives de l’effet de concentration dans les villes actuelles. Le rapport insiste sur le fait que “l’un des plus grands défis auxquels se trouvent confrontées les villes africaines est de réduire leur vulnérabilité aux risques climatiques.”

Aussi, il est important de noter que les pays africains sont souvent caractérisés par une concentration des activités dans une ou deux villes principales. Abidjan qui fait de l’ombre aux autres villes ivoiriennes en est l’illustration parfaite. Et même la capitale politique, Yamoussoukro, n’y peut rien. 

Cette réalité génère d’énormes fractures urbaines, économiques et sociales. La concentration des activités détériore l’expérience citadine et rend certaines populations fragiles non seulement face aux nuisances urbaines, mais surtout face aux risques naturels et climatiques. En effet, une inondation dans une ville déserte n’est pas trop à craindre. Un cyclone qui touche une ville faiblement peuplée n’aura pas le même impact dans une zone à risque et peuplée.

Un bidonville en Afrique du Sud©Iwaria

De plus, les experts des risques climatiques s’accordent à dire que plus les villes accueillent en grand nombre les habitants les plus précaires, plus elles s’exposent à un niveau élevé de vulnérabilité. Pourtant, aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville et tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. 

Un bidonville de Lagos ©Wikimedia

Au sujet de la concentration de la précarité : plus d’un milliard de personnes dans le monde, dont 85 % en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, vit dans un bidonville. En Afrique, le Kenya (Kibera), l’Éthiopie, le Nigeria, abrite des bidonvilles importants. Par ailleurs, qui dit taudis, bidonville, dit faible capacité de faire face à la chaleur, au manque d’eau, aux inondations, etc.

Maisons sur un site à risque à Abidjan ©Fofana et Kra

En Côte d’Ivoire, encore une fois pour parler du pays que je connais mieux, on a tous intégré le rendez-vous annuel des inondations dans les zones à risque. On a tous en tête les 9 morts en 2007, imputables aux inondations d’Attecoubé à Abidjan. Toujours à Abidjan, on a tous en tête les 32 morts de 2018 (Cocody, Attécoubé) et les 24 morts de 2024. Quand on analyse l’étiologie de ces inondations, on se rend compte que les maisons inondées étaient construites sur chemins d’évacuation des eaux usées et globalement dans des zones à risques.

Ailleurs, au sein des villes africaines subissant une pression démographique et un manque de planification urbaine, il y a des exemples similaires. Ne dit-on pas que les mêmes causes provoquent les mêmes effets ? On a tous en tête le bidonville flottant Makoko, à Lagos, qui est à lui seul une illustration parfaite du lien entre précarité urbaine et exposition aux risques climatiques.

Et quand on voit comment, en 2024, le cyclone Shido a rayé de la carte du monde, Kaweni, le plus grand bidonville d’Europe, il y a de quoi s’inquiéter pour nos villes côtières. Le Mozambique et le Malawi, ont été aussi frappé par le cyclone, avec des dégâts tragiquement spectaculaires. 

Laisser mourir nos villes ou penser maintenant à des villes durables ?

Face à un problème, il y a toujours des choix à faire, allant du laisser-faire à la réponse pragmatique. 

Les constructions à la hâte, la mauvaise maîtrise foncière, l’anarchie urbaine couplée au manque de curage des caniveaux, l’absence d’identité architecturale, la dépendance au climatiseur et à la voiture, contribuent aujourd’hui au laisser-faire mortifère dans la plupart des villes africaines. En continuant ainsi, sans autre forme de politique urbaine ambitieuse, nous programmons la mort de ces villes.

©Iwaria

À contrario, si nous décidons de rêver à des villes acceptables, adaptées aux enjeux actuels et futurs, il faudrait nécessairement faire des choix politiques plus ingénieux et valoriser les métiers des spécialistes de la ville. Il faut construire sur la base de vrais projets urbains, au lieu de laisser proliférer les vendeurs d’illusions et marchands de sommeil. Et « le projet urbain s’oppose au laisser-faire », comme l’explique si bien Ariella Masboungi dans “Le plaisir de l’urbanisme”.

En réalité, à l’heure actuelle, les experts de la ville africaine de demain semblent absents des nombreuses mutations urbaines en cours. Les universités locales n’en forment pas assez. Les rares qui existent n’ont pas assez de marge sur le tissu urbain anarchique qui échappe au contrôle des administrations locales. 

À Abidjan, par exemple, tout le monde peut s’improviser urbaniste, aménageur, constructeur, promoteur immobilier, maçon. Normal : “le chevreuil peut mordre le tigreau en l’absence du tigre” et “le bœuf enjambe toujours là où la barrière est basse”. Une anarchie urbaine d’une rare dangerosité prend place, générant, en plus des problèmes fonciers habituels, des aménagements à risque, inadaptés aux risques climatiques.

De ce fait, on voit s’étaler des quartiers avec des îlots de chaleur étouffants, des “logements-fours”, sans aucune aménités environnementales. Je crois toutefois qu’il n’est pas trop tard pour basculer vers des villes africaines mieux dimensionnées. Celles qui réconcilieront le citadin à la nature et lui faciliteront la vie. Serait-ce un jour possible ? 

Peut-on encore rêver à des villes africaines ayant une trame esthétiquement enviable, viable et vivante ? Il devient un peu suranné de rêver à notre époque. Et pourtant, je rêve de villes africaines, où on peut se poser tranquillement dans son quartier, en ayant la sensation de respirer un air pur, sans que les odeurs des ordures sauvages environnantes s’en mêlent. 

Je rêve de villes africaines où avoir un bout d’espace public végétalisé, permettant de promener les enfants, est à la portée de tous. Je rêve de villes où on croise, sur des kilomètres, des arbres le long des rues, permettant de marcher à l’ombre, en toute béatitude.

Yves-Landry Kouamé

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