Soldes et fast fashion : quel est le vrai prix de la mode à petit prix ?

Article : Soldes et fast fashion : quel est le vrai prix de la mode à petit prix ?
Crédit: iwaria
9 juillet 2023

Soldes et fast fashion : quel est le vrai prix de la mode à petit prix ?

Travailleurs mal payés, réduits au silence et loin des yeux des consommateurs, les ateliers de la fast fashion ou sinon de la mode rapide et à petit prix rappellent des conditions de travail dignes de l’époque de l’esclavage. Pendant que les soldes battent leur plein, à travers la lorgnette écologique, sociale et humaine, plongeons-nous dans l’univers des impacts de nos vêtements.

A cause de leur rythme de consommation qui est à la base du réchauffement climatique actuel, les seniors de la génération boomers ont longtemps été fustigés par la génération Z, à juste titre. Mais les chiens ne font pas de chats et les habitudes de consommation sont dures à changer. Ces mêmes jeunes soutiennent aujourd’hui un modèle de consommation qui contribue tout autant à polluer la planète. Il font tourner à plein temps la machine de la fast fashion.

C’est une branche de l’industrie de la mode qui se caractérise par la vente/achat en masse, de vêtements de marque à moindre coût. Quand on sait aujourd’hui l’importance du style vestimentaire chez les jeunes, on peut très vite se douter de quoi il en ressort. L’idée de la fast fashion c’est que tout le monde puisse porter des tenues de valeur mais en payant moins que le prix normal. Mais comment cela est-il possible? D’où vient cette tendance à courir vers les produits neufs, moins cher et, semble t-il, de qualité ? Qui paye la différence de ces produits moins cher ?

Fast fashion :  péché mignon de la génération Z

La Béatrice qui milite sur les réseaux sociaux n’a rien à voir avec la Béatrice dépendante des fast-food et accro au shopping dans la vraie vie. Or, cette appétence pour le shopping entretient la fast fashion, ce nouveau pendant de la mode qui vend moins cher et en quantité des vêtements à durée d’utilisation très limitée. 

Manifestation d’Extinction Rébellion lors d’un évènement de mode le 29 sept. 2020 ©infolibertaire

Une des caractéristiques de ces vêtements, c’est qu’ils perdent de leur superbe après le premier lavage. C’est un peu comme dans ces fast-food dont raffolent les jeunes, où les plats doivent être consommés immédiatement au risque de ne plus être consommables une fois refroidis. Le shopping et les fast food font ainsi partie intégrante du mode de vie de la jeunesse. Une jeunesse qu’on dit majoritairement sensible aux enjeux écologiques.

Les jeunes entretiennent, souvent sans le savoir et sans le vouloir, la société de la fast consommation. Dès la sortie du nouveau modèle de téléphone, celui sorti il y a moins d’un an, devient tendancieusement obsolète. En France, tout le mois de Juillet 2023 est consacré aux soldes d’été cette année. C’est l’autre rendez-vous mythique de la fast fashion à côté de la black friday. Des périodes où tout ce qui compte c’est d’acheter moins cher. Tous ces achats sont aussi motivés par les réseaux sociaux.

Soumis aux diktats des réseaux sociaux et à la stimulation par les soldes, les jeunes veulent être toujours à la page. Poster des photos avec les mêmes habits peut ternir l’image. Il faut donc sans cesse renouveler, éviter de porter plusieurs fois le même habit pour ne pas paraître démodé. Pour répondre à cette façon de vivre, soit on a assez de moyens financiers, soit on guette les réductions sans se poser de questions. D’ailleurs, il y a des réductions quasiment tous les mois. Mais quel est le modèle économique derrière ces grosses marques qui vendent tout moins cher ? Comment sont payées les petites mains qui confectionnent nos vêtements moins cher ?

Un système économique qui cache les conditions de travail

En Novembre 1999, Seattle accueillait un sommet de l’OMC qui allait radicalement impacter notre façon de consommer. Lors de ce sommet, l’OMC a consacré une nouvelle forme d’économie qui va faire qu’on ne va plus voir ceux qui souffrent pour nourrir l’industrie de la surconsommation qui allait suivre. 

Un atelier de confection au Bangladesh, alimentant les grandes marques de vêtement à travers le monde.

Plusieurs usines vont par la suite être fermées dans les pays développés pour être délocalisées dans le tiers-monde. Des manifestants avant-gardistes, s’étaient alors réunis autour de ce sommet pour dénoncer les effets délétères de cette forme de mondialisation. Ils avaient été violemment repoussés.

Plus de 20 ans après, les conséquences sont là : des produits sont fabriqués dans des conditions inimaginables à l’autre bout du monde et exposés dans les boutiques de marques des mégalopoles. En plus de polluer l’atmosphère par le transport de ces marchandises, cette économie cache les conditions de travail.

Les consommateurs qui se rendent dans les boutiques se doutent très peu des mains qui ont été utilisées pour confectionner ces vêtements car les usines de fabrications sont loin et ne font pas la une des programmes publicitaires. Les campagnes publicitaires mettent plutôt en avant les soldes et la mode accessible à tous. Cela dit, qui paye finalement la différence ? Qu’est-ce que cela coûte réellement à la planète ?

Le vrai prix de la mode à petit prix

En ce XXIe siècle, le vrai prix des produits n’a pas grande importance. Le consommateur est programmé pour rechercher le prix le plus bas, au détriment du prix qui rémunère justement le travail du producteur. Pourtant, tous ces habits produits en masse et jetés, utilisés qu’une ou deux fois, sont obtenus à partir de ressources naturelles limitées et nécessitent pour leur fabrication une pression sur des ressources de plus en plus rares et précieuses comme l’eau.

Quel est l'impact de l'industrie du textile sur la pollution et l'environnement ? 1

Un tee-shirt en coton de 250g peut mobiliser 2500 litres d’eau. Pour rappel, plus de trois personnes sur dix dans le monde, soit plus de 2 milliards d’êtres humains, n’ont toujours pas accès à l’eau potable selon l’ONU et c’est en Afrique que se trouvent la majeure partie des personnes buvant de l’eau provenant de sources non protégées, ce qui représente un obstacle majeur au développement. Aussi, le polyester, matière incontournable dans l’industrie de la fast fashion, nécessite l’extraction du pétrole, amplifiant ainsi le réchauffement climatique et la dégradation des écosystèmes.

De plus, les conséquences humaines de la fast fashion peuvent être tragiques. Environ 1135 travailleurs ont péri tragiquement en 2013, dans l’effondrement du Rana Plaza, une industrie textile, à Dacca au Bangladesh. Cette usine qui ne respectait pas les normes de construction en la matière, présentait des risques d’effondrement par ses murs fissurés et l’entassement en son sein des machines à tisser. Un 24 Avril 2013, sans considérer les protestations des employés contre ces conditions de travail, la direction du Rana Plaza fait venir les employés pour continuer à y travailler afin d’honorer les commandes de l’industrie de la mode un peu éparpillée à travers le monde. Mais ce fut la goutte qui a fait déborder le vase : le bâtiment s’effondra sur les employés après la mise en marche des machines. Les mûrs du bâtiment n’ont pas résisté cette fois aux vibrations des machines.

Les volontaires qui cherchent des survivants dans les décombres du Rana Plaza, près de Dacca, au Bangladesh, le 24 avril 2013. (MUNIR UZ ZAMAN / AFP)
Effondrement d’un atelier de confection de vêtement pour les grandes marques au Bangladesh : des milliers de pertes en vies humaines ©MUNIR UZ ZAMAN/AFP

La fast fashion a par ailleurs révolutionné les services de livraison à domicile. Un produit peut être commandé en ligne aujourd’hui et livré demain. Le plus souvent, selon certaines conditions, la livraison est gratuite. Mais c’est quoi la gratuité quand les livraisons représentent une part non négligeable des gaz à effet de serre des transports et quand des gens travaillent non stop ? Selon l’ADEME, les vêtements et chaussures représentent jusqu’à 4 milliards de tonnes de CO2. Plus la livraison se fait rapidement, plus l’impact écologique est important car le véhicule sera quasiment destiné à un nombre infirme de colis. Les livreurs travaillent tout le temps sous pression, suite à nos clics en ligne et les entreprises qui les embauchent s’en déresponsabilisent la plupart du temps. 

Les conséquences de la fast fashion ne s’arrêtent pas là. Les déchets qu’elle engendre sont envoyés aussi à l’autre bout du monde et polluent l’environnement des populations qui ne lui ont rien demandé. C’est ainsi que la fast fashion transforme progressivement en Afrique, la capitale ghanéenne Accra, en une poubelle urbaine. Elle y déverse 160 tonnes de déchets textiles chaque jour. L’Afrique subsaharienne a pourtant déjà du mal à gérer les déchets de ses propres ménages.

Des alternatives, mais surtout un examen intérieur à faire

Face à ce tableau problématique, plusieurs marques “éco-responsables” émergent. Ces dernières mettent en avant le contraire de la fast fashion, c’est-à-dire, la slow fashion.  Des lignes de vêtements recyclés, de seconde-main, plus durables, occupent de plus en plus l’espace. Mais si le principe reste le même, c’est-à-dire acheter, pas parce qu’il nous en manque mais pour faire bonne figure et être à la mode, l’impact néfaste reste toujours important. Un examen intérieur devrait donc nous amener à nous poser la question de l’utilité de l’acte d’achat. Cela éviterait les achats compulsifs et épargnerait bien des vies à l’autre bout du monde.

Le lien entre notre porte-monnaie et les conditions de travail devrait être plus transparent, imagé et visible de tous. Il est aujourd’hui vital de l’exiger en tant que client. Car plusieurs études montrent que les seules mentions “équitable”, “engagé” ou “biologique” ne suffisent plus à garantir des conditions de production qui respectent la planète.

« Tout n’est pas vert dans le bio. »

Titre d’un numéro du Canard Enchainé en 2019

C’est pour toutes ces raisons que l’attitude de consommateur doit être remplacée par celle du consom’acteur. Le consom’acteur est minimaliste, n’achète pas tout le temps ni sous l’impulsion publicitaire, encore moins pour éviter qu’on le voit avec le même habit deux fois, mais parce que cela est nécessaire.

Les jeunes gagneraient à faire, avant chaque achat, ce travail intérieur qui précède toute prise de décision raisonnée et sans biais cognitif. La vie d’humains vulnérables en dépend à l’autre bout de la planète.

Yves-Landry Kouamé

Partagez

Commentaires

Esther Mwamba
Répondre

Merci pour cet article ! J'ai aimé découvrir le concept de la "slow fashion" que je ne connaissais pas dans ta conclusion de l'article et merci d'avoir rappeler que c'est la motivation qui doit avant tout changer à travers un questionnement intérieur.

Yves-Landry Kouamé
Répondre

Merci pour ce retour Esther