Élections en Côte d’Ivoire : où est la place de l’environnement ?

Article : Élections en Côte d’Ivoire : où est la place de l’environnement ?
Crédit: iwaria
30 août 2023

Élections en Côte d’Ivoire : où est la place de l’environnement ?

Nous approchons d’un moment décisif pour les 5 prochaines années en Côte d’Ivoire. Le 2 Septembre 2023, c’est jour de vote. Les ivoiriens iront élire leurs conseillers municipaux et régionaux. Dans ce pays vulnérable au réchauffement climatique et quotidiennement en proie à des dégradations environnementales, ces élections sont cruciales. Mais identifier très clairement la place de l’environnement dans le débat politique qui s’engage n’est pas la chose la plus facile.

via iwaria

753 dossiers de candidature pour les mairies dont 34,03% de femmes, 94 pour les régions dont 32% de femmes, c’est le bilan de l’appel à candidature pour les élections du 2 septembre en Cote d’Ivoire. Après observation des premiers jours de campagne, disons que les ivoiriens qui, comme moi, s’attendaient à des messages autour des vrais sujets du quotidien, attendront encore. D’ailleurs sur la liste officielle des candidats aux municipales et aux régionales, ne figure pas de dossier de candidature pour les Verts. Nos écologistes sont aux abonnés absents. Comme d’habitude, me dira-t-on ! Pourtant, le sujet environnemental est un sujet éminemment politique qui incombe aux collectivités territoriales.

Élections locales et enjeux de gestion de l’environnement

Les dégradations environnementales en Côte d’Ivoire interrogent sur le rôle des collectivités locales, à savoir les mairies, les départements et les régions.

Plusieurs communes comme Adjamé, Abobo et Port-Bouët rivalisent d’insalubrité en plus de l’insécurité. Pourtant, sur la question des déchets et plus globalement de la protection de l’environnement, les lois ivoiriennes semblent claires.

Posons-nous des questions simples : pourquoi les dégradations environnementales perdurent élection après élection, catastrophe après catastrophe ? Les électeurs sont-ils voués à subir la mauvaise gestion des collectivités ?

Même si le constat sur le terrain est tout autre, il est important de rappeler que les collectivités locales sont responsables de la protection de l’environnement en Côte d’Ivoire. On dit qu’elles sont compétentes sur ce sujet. Elles doivent travailler de concert pour maintenir une bonne qualité des sols, de l’air et des eaux pour le bien-être des populations.

Les lois ivoiriennes ont le mérite d’être on ne peut plus claires sur les compétences des mairies, des département et des régions en matière d’environnement. Les collectivités territoriales sont en première ligne de la gestion de l’environnement. 

La loi n° 2003-208 du 07 juillet 2003 confie par exemple à la commune les compétences suivantes : la gestion, la protection et l’entretien des forêts d’intérêt communal ; la pré-collecte des ordures ménagères, le transport des déchets aux postes de groupage, la réalisation et la gestion des centres de compostage des déchets ; la lutte contre l’insalubrité, la pollution et les nuisances au niveau communal ; l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des plans communaux d’action pour l’environnement etc.

Le code de l’environnement, au niveau de ses sections II et III portant sur les obligations des collectivités locales, clarifie encore les responsabilités. L’article 66 du code dit ceci : “Les communes sont responsables de la collecte, du transport et de l’élimination des déchets ménagers[…] Elles ont l’obligation d’élaborer des schémas de collecte et de traitement des déchets ménagers avec le concours des services techniques des structures compétentes.” 

L’article 67 va plus loin : “Les collectivités locales sont tenues d’avoir un plan de gestion de l’environnement.” Les mots sont précis.

Tout est dit mais rien n’est fait. Conséquences : les conditions de vie sont dégradées par les décharges à ciel ouvert. Les eaux usées circulent à ciel ouvert dans les rues les plus empruntées des quartiers. Les caniveaux sont bouchés par les ordures sauvages. Les ordures s’accumulent dans le périmètre des écoles publiques, avec leurs lots de nuisances et de prolifération de maladies.

Le cadre légal est bien posé. Il faut juste des équipes municipales capables de les mettre en œuvre. On s’imagine qu’avec ce cadre légal, s’ils sont aux commandes, les partis politiques écologistes n’auront plus qu’à appliquer les textes pour être en phase avec leur ligne idéologique. Mais ces derniers ne sont même pas encore prêts à diriger.

Des partis écologistes en perte de vitesse

Aujourd’hui la Côte d’Ivoire est autant réputée pour son cacao que pour la déforestation et le travail des enfants. L’environnement est devenu par la force des choses un sujet éminemment politique.

 Les autorités sont tout le temps interpellées sur cette question qui dérange de plus en plus. Le président de la république n’y échappe pas. Cependant, nos écologistes n’y voient que du feu.

Toujours aux abonnés absents, gangrenés de militants papillons, accrochant leurs habits où le soleil brille, les partis écologistes ne sont jamais là où on les attend.

Plusieurs angles critiques leur sont offerts chaque semaine dans l’actualité environnementale nationale et internationale, mais aucune n’est exploitée par les écologistes ivoiriens. Entre montée des eaux, projets climaticides, déforestation, déchets de rues, il y a beaucoup de sujets à exploiter pour éveiller l’opinion publique. Mais nos écologistes n’y trouvent pas leur compte. Etonnant !

J’insiste cependant à croire qu’il doit sûrement avoir des raisons solides à cela. Dans un paysage politique tribal, toujours en recomposition et figé autour des grands partis traditionnels, il n’est pas évident de faire entendre de nouvelles formations politiques.

Cela dit, une question qui me taraude l’esprit : reste-il encore des écologistes au sein des partis dit écologistes en Côte d’Ivoire ?

Comment expliquer leur silence assourdissant face à la recrudescence des atteintes à l’environnement en Côte d’Ivoire ? Comment expliquer l’absence de partis écologistes lors des élections et leur faible poids, alors que les sujets environnementaux sont omniprésents dans le quotidien des ivoiriens ? Je veux bien qu’on m’aide à trouver des réponses. 

La dernière vraie participation d’un parti écologiste au processus politique date de 2021. En effet, lors des dernières législatives, une candidate du PEI (parti écologique ivoirien) est arrivée en 3e position à Songon derrière Beugré Mambé et N’Koumo Mobio. Il s’agit de LOBA Antoinette épouse ATABAN. Cependant, cette dynamique s’est rapidement essoufflée. 

Le PEI est pourtant l’un des plus importants partis de la sphère des verts en Côte d’Ivoire. Avec le Mouvement Ecologique Ivoirien (MEI) fondé par l’ancien joueur de l’Olympique de Marseille Jean-Désiré Sikely, Edouard N’Gouan a tenté plusieurs coups mais s’est cogné la tête à chaque fois, lui et ses autres compagnons. 

En 2018, Claude Gohourou, qui s’est particulièrement illustré dans l’affaire des victimes du probo koala, a quant à lui mis en place un nouveau parti politique. Il a fondé le Parti Ecologique de Côte d’Ivoire (PECI). Pour rappel, il est depuis le scandale écologique de 2006, à la tête d’un mouvement en faveur de l’indemnisation des victimes des déchets toxiques.

Ce dernier a été recalé à la présidentielle de 2020, pour défaut de paiement des 50 millions de Fcfa de caution, comme pour dire qu’au-delà des idées il faut avoir les moyens. « Le parti écologique voudrait se positionner comme le fer de lance pour la défense de la préservation de l’environnement et surtout de la reforestation en Côte d’Ivoire » disait-il. 

Tous ces partis ont quelque chose en commun : ils n’ont pas de structure lisible et ne pèsent ni sur l’actualité ni dans le paysage politique local. Leur manque de réactivité face aux nombreuses atteintes à l’environnement en Côte d’Ivoire concourt logiquement à leur échec politique. Or le sujet écologique ne peut être politisé que par l’éducation populaire et par la pédagogie.

Il est clair que tous les ivoiriens qui rêvent de voter Vert en Côte d’Ivoire n’auront pas gain de cause avec l’offre politique actuelle. Faudra peut-être se rabattre sur les autres colorations politiques qui s’attèlent à intégrer le discours écologique dans leurs programmes de campagne. Et pour les élections du 2 septembre, ils sont nombreux.

Et si l’éveil politique autour de l’environnement venait d’ailleurs ?

“Je veux faire de Korhogo une ville propre, une ville salubre et soucieuse de la protection et de la promotion de son environnement” a lancé à Korhogo, un candidat non écologiste. Il s’agit du candidat du nouveau parti de Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire. Le pion du PPA-CI Issa Malick Coulibaly place ainsi la protection de l’environnement au cœur de son projet pour la troisième ville peuplée du pays, la Ville des Sénoufos.

via iwaria

A Man, Houlé Marie Noelle, candidate pour le compte du plus vieux parti de Côte d’Ivoire, le PDCI (pour ne pas dire parti des vieux), propose un programme en lien avec la propreté de la ville et la transformation des déchets. Même tableau à Bouaké, la deuxième ville la plus peuplée du pays, où l’environnement occupe une place essentielle dans le programme proposé par Gnamien Konan. A Téhémi, l’indépendant Pale Sansan propose à son tour un programme axé autour dit-il du développement durable.

Pour le 2 septembre, l’environnement a le vent en poupe partout, sauf chez les Verts. Effet de “Com” ou prise de conscience politique de l’urgence environnementale en Côte d’Ivoire ? Quoi qu’on en pense, la politique c’est d’abord la saine appréciation des réalités du moment. A Yopougon, la commune des mangeurs de viande de porc, Dia Houphouët propose par exemple de mettre en place des projets de développement durable. A Koumassi, le candidat de la majorité, Cissé Bacongo a inscrit quelque part la protection de l’environnement dans la liste de ses prochains chantiers prioritaires en cas de réélection.

Continuons notre petit tour d’horizon. A Cocody, Georges-Alain Blé mise lui aussi sur l’environnement, un peu comme Yasmina Ouegnin, l’éternelle  insoumise du PDCI-RDA. Elle a aussi inscrit l’environnement sur la liste de ses priorités : « Notre vision est de préserver l’identité unique de Cocody tout en faisant progresser sa durabilité et son caractère écologique. » Le maire sortant Jean Marc Yacé, géniteur de la luxuriante Miss Côte d’Ivoire 2021 Olivia Yacé, sollicite à son tour une nouvelle fois la confiance des électeurs en promettant de mettre en place une brigade de salubrité.

Des formules qui veulent souvent tout et rien dire en même temps fusent de partout pour matcher avec l’actualité locale indissociable des questions environnementales.

Encore plus intéressant, cette dynamique s’irrigue au niveau d’une commune que je fustige souvent pour son insalubrité : Abobo. La campagne électorale a permis de politiser la question de l’insécurité et celle des déchets. Le candidat indépendant Israël Guebo exploite à fond ces angles critiques pour se positionner. Il contribue ainsi à mettre en lumière cette situation que je décrie depuis des années. « Je m’engage à adopter pour ma commune des pratiques durables en matière d’environnement, d’énergie et d’utilisation des ressources. » explique t-il dans son programme. C’est l’un des rares à avoir travaillé pour offrir un programme disponible intégralement en ligne pour tous les électeurs.

Respirons ! Quand par manque d’anticipation environnementale, l’érosion côtière balaie les activités commerciales des habitants sur le littoral ivoirien, ce sont les électeurs qui en paient le prix fort. Quand on passe de 16 millions d’hectares de forêt à moins de 3 millions d’hectares, ce sont les électeurs qui sont affectés. Quand les maladies environnementales prolifèrent à cause de l’insalubrité, ce sont les électeurs qui en paient le prix. Les sacs de riz distribués çà et là pour acheter leur conscience pendant les élections ne contribuent pas à enrayer les problèmes.

Des élus qui ne sont pas suffisamment sensibilisés à la question ne peuvent pas déployer des politiques publiques pour y faire face. Je pense qu’il est aujourd’hui essentiel d’accorder plus de place à l’environnement dans le débat politique, au même titre que la cherté de la vie, le chômage, l’éducation. Car le schéma dominant qui consiste à louer ou s’identifier aux trois historiques chefs de fil, acheter la conscience des plus précaires par des actions de Com, des boites de sardines, des sacs de riz, commence à bien faire.

Je suis pour l’exigence envers ceux qu’on élit. Je suis pour le fait de passer au crible leurs projets. Soyons exigeants en tant qu’électeurs. Les catastrophes climatiques en Côte d’Ivoire (inondations meurtrières, montée des eaux, fortes chaleurs, dérèglement des saisons agricoles etc) et les déchets de rues ont mis en exergue l’incompétence de certaines municipalités et la nécessité d’élaborer une planification environnementale à l’échelle des territoires.

L’intégration des aspects environnementaux dans les politiques locales d’amélioration des conditions de vie des populations est aujourd’hui fondamentale. Il ne faut pas s’y louper. Soyons enfin exigeants dans nos votes. Sinon, c’est reparti pour 5 ans de déchets et de mauvaise gestion de nos collectivités.

Yves-Landry Kouamé

Partagez

Commentaires